Différentes modalités canoniques
d’exercice de la juridiction
du Patriarcat œcuménique de Constantinople
par le Révérend Archimandrite Grigorios Papathomas
professeur à l'Institut de théologie orthodoxe Saint Serge



La Tradition canonique de l’Église a accordé, au cours des siècles, à l’Église de Constantinople — comme à toute autre Église locale d’ailleurs selon le cas chorogéographique et temporel — certaines modalités canoniques pour accomplir l’œuvre sotériologique qu’incombe chaque Église locale dans l’espace et dans le temps. De nos jours, ces modalités peuvent être réparties en différentes catégories selon qu’elles concernent :

Catégories des modalités canoniques
d’exercice de la juridiction
du Patriarcat œcuménique de Constantinople
A. 1. La juridiction de l’(Archi)épiscopie de Constantinople
2. La juridiction du ‘Patriarcat de Constantinople’
3. L’exercice du droit préjuridictionnel du Patriarcat
B. 1. Le primat canonique des territoires hyperorius
C. 1. La fonction de "locum tenens" — des Orthodoxes — de l’Église d’Occident
2. La fonction du droit d’appel (ekkliton) au sein de l’Église orthodoxe
D. 1. Sa qualité d’interlocuteur de l’Europe unie pour l’Église orthodoxe

Comme on peut le constater, l’exercice de la juridiction patriarcale dans le champ de son application ne présente pas des modalités uniformes — en ce qui concerne particulièrement son contenu — et se différencie selon la fonction accordée par la tradition canonique de l’Église pour des raisons diverses. Il reste donc à examiner en détail aussi bien ces différentes modalités canoniques que les raisons pour lesquelles le Patriarcat œcuménique de Constantinople, au cours des siècles, les a acquises. Cela nous assurera une base commune de vision des choses et permettra de saisir la fonction des différents systèmes canoniques de l’Église afin de donner des réponses à des questions contemporaines qui se posent au sein de l’Église orthodoxe.

A. Modalités de la juridiction du ‘Patriarcat’ de Constantinople
Tout d’abord, par le terme "Patriarcat œcuménique de Constantinople", on doit comprendre trois qualités canoniques bien distinctes :

Modalités canoniques
1. Archiépiscopie de Constantinople
2. Patriarcat œcuménique de Constantinople
3. Qualité d’exercice du droit préjuridictionnel

On désigne (1°) l’Archiépiscopie de Constantinople, avec sa propre région géographique. On désigne également (2°) le Patriarcat œcuménique de Constantinople défini conciliairement par le IVe Concile œcuménique de Chalcédoine (451). Enfin, (3°) on vise un droit patriarcal spécifique déterminé par le terme représentatif "droit préjuridictionnel" qui puise sa justification dans le fait de la constitution du (des) Patriarcat(s) ancien(s) en tant que tel(s). À son tour, le terme "Patriarcat" évoque une modalité canonique, à long terme, qui réflète les différentes manières d’exercice des droits patriarcaux — établis par le IVe Concile œcuménique — dans l’espace de sa circonscription juridictionnelle qu’elles sont explicitement manifestées dans le droit précité.
1. La juridiction de l’(Archi)épiscopie de Constantinople
C’est la ville épiscopale de Constantinople — y compris son hinterland — dont l’(arch)évêque porte le titre du [est le] patriarche du Patriarcat homonyme. De même, la presqu’île hagiorite du Mont Athos est considérée comme territoire de l’(archi)épiscopie de Constantinople, car le patriarche est l’évêque de ce lieu, exerçant la plénitude des droits épiscopaux.
2. La juridiction du ‘Patriarcat de Constantinople’
Les limites géoecclésiastiques du Patriarcat de Constantinople — comme des autres quatre Patriarcats [anciens] d’ailleurs — reposent sur des fondements historicocanoniques. L’événement décisif pour les Églises patriarcales a été le IVe Concile œcuménique de Chalcédoine (451). Comme l’on sait, l’œuvre canonique de ce Concile a consisté à la constitution de nouvelles "entités géoecclésiastiques", qualifiés par le terme ‘Patriarcat’. Il s’agit d’une nouvelle existence canonique, inconnue dans la tradition de l’Église jusqu’alors, qui reflète la volonté de l’Église — créant l’ensemble de Patriarcats — de s’administrer synodalement dans toutes les manifestations de sa vie "institutionnelle". L’Église a regroupé donc au cours de [4e et] 5e siècle[s] les "métropoles autocéphales" du vaste Empire romain en Patriarcats pour mieux organiser et aider, à travers l’institution du ‘synode local’, l’Église locale.
Une question se pose toujours à ce propos : depuis quand le Patriarcat de Constantinople existe en tant que tel ? La réponse demeure claire : depuis que les autres Patriarcats ont pris conciliairement naissance en tant que tels par la volonté conciliaire de l’Église, au IVe Concile œcuménique (451). Dans cette perspective patriarcale établie conciliairement, le Patriarcat de Constantinople avait acquis la deuxième place dans la taxis [des diptyques] canonique des Églises locales. Par ailleurs, ce même Concile "désigna" d’une autre manière — sans la mentionner expressis verbis — l’autocéphalie de l’Église de Chypre qui avait été déterminée par le IIIe Concile œcuménique d’Éphèse (431). Ledit Concile confirma une pratique ecclésiale transmise par la tradition métropolitaine de l’Église, alors que, par la suite, le IVe Concile œcuménique (451) reconfirma "par son silence" (a silentio) la même autocéphalie administrative de Chypre en regroupant toutes les autres métropoles et épiscopies de l’Empire romain en Patriarcats sans y intégrer l’Église autocéphale de Chypre. C’est la formation des cinq "patriarchies" auxquelles la tradition canonique de l’Église accorda la qualité patriarcale caractérisée par ce qu’on appelle aujourd’hui un droit ecclésial "absolu".
Pour recapituler l’œuvre conciliaire canonique de l’Église au cours des cinq premiers siècles, on peut présenter les étapes canoniques successives également bien distinctes :

Étapes canoniques successives
1. Épiscopie/Église locale (Nouveau Testament/3 premiers siècles)
2. Métropole (1er Concile œcuménique de Nicée325)
3. Église autocéphale (3e Concile œcuménique d’Éphèse431)
4. Patriarcat (4e Concile œcuménique de Chalcédoine451)
5. La Pentarchie des Patriarcats (4e Concile œcuménique451)

Ce dernier élément, celui de la pentarchie, constitue un système —et non pas une institution— canonique fondé sur le principe de l’indépendance administrative ecclésiastique (autocéphalie) réservant une juridiction propre dite patriarcale (jus patriarchati), inventé(e) canoniquement par l’Église (IVe Concile œcuménique de Chalcédoine451). La pentarchie synodale vient s’ajouter au système métropolitain (Ier Concile œcuménique de Nicée325) et au système de l’autocéphalie (IIIe Concile œcuménique d’Éphèse431). En effet, l’œcuménie chrétienne d’alors était divisée ecclésialement en cinq centres de guide ou de primat, coïncidant avec les centres majeurs historiques de la chrétienté : c’estàdire Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem. Il s’agit d’une répartition administrative conciliaire de l’autorité —synodale— de l’Église en cinq patriarcats désignant/voulant exprimer la manifestation de la synodalité dans son administration suprême et de laquelle font également partie, par la suite et à ce jour, les Églises autocéphales. Cette articulation structurale a des incidences ecclésiologiques depuis sa constitution conciliaire.
C’est ainsi que le système de la pentarchie inventé par l’Église, selon la taxis canonique adoptée alors, présente la structure suivante :

Le système de la "Pentarchie des Patriarcats"
(4e Concile œcuménique de Chalcédoine451)
1. Patriarcat de Rome
2. Patriarcat de Constantinople
3. Patriarcat d’Alexandrie
4. Patriarcat d’Antioche
5. Patriarcat de Jérusalem

Or l’Église de Constantinople se présente alors comme possédant une "nouvelle existence canonique" avec un territoire canonique de sa circonscription patriarcale qualifiée historiquement par la ville de Constantinople et les trois éparchies limitrophes (Thrace, Pont et Asie Mineure). On devrait par la suite le définir chorogéographiquement par les quatre mers (Noire, Méditerranée, Adriatique et Baltique), comme le deuxième trône patriarcal dans le "système de la pentarchie" des Patriarcats, et jouissant d’une primauté d’honneur — selon la taxis — au sein de l’Église orthodoxe après la "désunion ecclésiale" survenue en 1054.
3. L’exercice du ‘droit préjuridictionnel’ du Patriarcat
Cette modalité est également liée à la notion du Patriarcat défini par le IVe Concile œcuménique (451). En effet, comme les autres, le Patriarcat œcuménique de Constantinople englob(ait)e hier comme aujourd’hui plusieurs nations-ethnies. C’est une caractéristique fondamentale, qui qualifie entre autres sa définition en tant que tel mais aussi son hypostase ecclésiale. Cela peut être de plus constaté d’après le fait suivant.
L’organisation actuelle de l’Église orthodoxe "répandue à travers tout l’univers" — non seulement en Europe mais aussi dans le monde entier — est certes tant le résultat d’une évolution diachronique que le fruit d’une procédure faite au sein de la tradition canonique de l’Église. Cette organisation présente le schéma suivant :


L’Église orthodoxe "répandue par tout l’univers" (20e s.)
(Patriarcats, Églises autocéphales et autonomes :
Ancienneté d’honneur Diptyques Taxis canonique)
Patriarcats anciens
[• Patriarcat de Rome]
1. • Patriarcat de Constantinople
2. • Patriarcat d’Alexandrie
3. • Patriarcat d’Antioche
4. • Patriarcat de Jérusalem
Patriarcats modernes
5. Patriarcat de Russie
6. Patriarcat de Serbie
7. Patriarcat de Roumanie
8. Patriarcat de Bulgarie
9. Patriarcat de Géorgie
Églises autocéphales
10. Église autocéphale de Chypre
11. Église autocéphale de Grèce
12. Église autocéphale de Pologne
13. Église autocéphale d’Albanie
14. Église autocéphale de Tchéchie et Slovaquie
Églises autonomes
15. Église autonome de Finlande
16. Église autonome d’Éstonie

La procédure conciliaire réalisée au sein de la Tradition canonique de l’Église pour les autres Églises patriarcales d’alors, fut également la même pour ce qui concerne le Patriarcat œcuménique. En effet, l’Église, par voie conciliaire, lui confia les diocèses de la Thrace, du Pont et de l’Asie Mineure, en lui accordant le jus patriarchi, le droit de juridiction d’un patriarche, comme cela avait été le cas pour les quatre autres patriarches, ceux de Rome, d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem. Il acquit alors un "droit juridictionnel territorial" dans les limites de son patriarcat. Le territoire patriarcal juridictionnel — jusqu’à la fin du 1er millénaire — est étendu et déterminé historiquement et choro-géographiquement par quatre mers (Noire, Méditerranée, Adriatique et Baltique). Or, sur le territoire européen, il s’agit bien de la péninsule Balkanique toute entière prolongée vers les pays nordiques (Europe centrale et orientale). L’attribution de ce territoire juridictionnel, on l’a vu, date du IVe Concile œcuménique (451) et, par la suite, de l’attachement à ce trône patriarcal de l’Illyricum orientale (731). Par conséquent, depuis 451/731 jusqu’en 1593 (autocéphalie et patriarchie de l’Église de Russie) et 1850 (autocéphalie de l’Église de Grèce), le territoire déterminé ci-dessus lui demeurait juridictionnellement propre. À partir de ces dernières dates, son "territoire juridictionnel" entier commence à être canoniquement "amputé" par la proclamation des différentes autocéphalies ecclésiales, car le Patriarcat constantinopolitain, pour affronter le nationalisme et l’étatisme accrus — transmis et apparus depuis le début de 19e siècle dans les Balkans —, qui avaient commencé à contaminer la communion des différentes ethnies-communautés ecclésiales, réactiva le "système de l’autocéphalie" que l’Église avait déjà connu dans sa tradition conciliaire. L’acquis de ce "droit juridictionnel territorial" dont nous venons de parler constitue la raison principale justifiant la proclamation des autocéphalies ecclésiales. Pour appliquer ce droit accordé conciliairement par l’Église, le Patriarcat de Constantinople demeure seul à proclamer des autocéphalies.
La soustraction progressive des territoires du Patriarcat, appartenant à des Églises autocéphales canoniquement proclamées en tant que telles, changea la structure géoecclésiastique de l’Europe centrale et orientale, mais cette dernière rest(ait)e un "territoire exjuridictionnel" (d’un sens/contenu non définitif) ou plutôt un "territoire préjuridictionnel" (prodikaiodosiakos). Ce terme donc — qui est un néologisme — qualifie le territoire d’une Église autocéphale émancipée par une juridiction ecclésiale — toujours patriarcale —, où l’Église patriarcale mère n’exerce aucune autorité ecclésiastique juridictionnelle, spirituelle ou administrative, car cette Église est autocéphale. Il faut rappeler ici encore que parmi les cinq Patriarcats anciens, le Patriarcat de Constantinople demeure le seul, pour des raisons historiques et théologiques, qui pour faire face à des circonstances pluriformes extrêmement difficiles, procéda au système de l’autocéphalie dans son ressort territorial patriarcal propre pour les peuples ethniques formant un État national. Les autres quatre Patriarcats anciens (à savoir, de Rome, d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem) n’ont pas pratiqué ce système ecclésial. Or une Église autocéphale moderne constitue, toujours et par définition, un "territoire préjuridictionnel" du Patriarcat de Constantinople, duquel elle est issue et canoniquement émancipée. De plus, elle ne constitue pas un "territoire exjuridictionnel".
Cela s’explique par le fait qu’en cas d’abolition d’une Église autocéphale locale (cf. les autonomies ecclésiastiques de Serbie et de Bulgarie au cours du 12e siècle, ainsi que l’exemple récent de l’Église autocéphale d’Albanie [19671991]), la juridiction en revient à l’Église patriarcale de Constantinople ayant le plein droit canonique, ainsi que l’initiative canonique d’agir pour restaurer l’autocéphalie abolie par les différentes circonstances. De ce point de vue, dans l’Église orthodoxe, le "territoire préjuridictionnel" du Patriarcat de Constantinople est constitué de l’ensemble de tout ressort territorial canonique des Églises autocéphales — à l’exception de l’Église autocéphale de Chypre, et des quatre Patriarcats anciens bien entendu — circonscrites dans les limites "géopatriarcales" définies par les [(IIe) IVe et le Quinisexte] Conciles œcuméniques, c’est à dire de l’Europe centrale et orientale. En conséquence, ce droit ecclésial ne manifeste pas une "primauté juridictionnelle", mais, au contraire, il explique le lien qui (doit) existe(r) entre l’Église patriarcalemère et les Églises autocéphales issues de son sein.
Cela veut dire de plus que la juridiction ecclésiale du Patriarcat de Constantinople n’est pas en réalité universelle au sens où l’on entend dans l’adjectif canonique "œcuménique". En tant que Patriarcat, c’estàdire en tant qu’entité (géo)ecclésiale déterminée par un territoire donné (caractéristique de l’indigénité [entopiotis]) mais aussi en tant qu’Église locale, il est — si étrange que cela puisse paraître — en voie de limitation. Le fait d’activer le système de l’autocéphalie — il était tout à fait libre de ne pas le faire — signifie qu’il a procédé à un acte canonique par libre choix ayant comme but initial et unique la sauvegarde de l’unité ecclésiale à l’intérieur de son ressort territorial patriarcal au ..."détriment" de son intégralité territoriale. Cela en fait "coûta" — extérieurement et, si l’on veut, politiquement parlant —, du point de vue territorial, la diminution de sa juridiction territoriale traditionnelle — ce qui représente bien entendu une certaine valeur mais seulement relative — en vue de rester en communion ecclésiale permanente avec les peuples ethniques se trouvant dans son espace juridictionnel patriarcal, émancipés par le biais des autocéphalies ecclésiales.
Or les [neuf] Églises autocéphales existantes à ce jour — à la seule exception de l’Église autocéphale de Chypre qui ne fit jamais partie du territoire juridictionnel d’un des cinq Patriarcats —, à savoir, les Églises de Russie, de Serbie, de Roumanie, de Bulgarie, de Géorgie, de Grèce, de Pologne, d’Albanie et de Tchéchie et Slovaquie, constituent un "territoire préjuridictionnel" du Patriarcat œcuménique. La fondation des Églises susmentionnées explique manifestement la constitution conciliaire du "Patriarcat" par l’Église, qui, comme on l’a dit, est [son territoire] en voie de limitation. L’Église locale orthodoxe d’un État, ayant acquis son autocéphalie ecclésiale, exerce dans les limites étatiques une juridiction positive strictement réservée aux limites de cette Église autocéphale (juridiction intraorius). Le territoire de cette Église autocéphale étant soustrait de ce [territoire] du Patriarcat, il n’est plus juridiction de ce dernier, car cette Église émancipée est "autocéphale". En revanche, après toutes ces proclamations de l’autocéphalie précitées, le Patriarcat œcuménique de Constantinople exerce une juridiction soustractive (afairetiki; dikaiodosia) réelle — sans que cela veuille dire qu’il perde sa notion positive — sur le territoire patriarcal qui reste après les proclamations canoniques. En d’autres termes, cette juridiction soustractive patriarcale concerne les territoires qui restent en dehors des limites des Églises autocéphales, territoires qui n’appartiennent pas à une autre Église autocéphale.

Les Églises patriarcales, autocéphales et autonomes
du "territoire préjuridictionnel"
du Patriarcat œcuménique de Constantinople
1. Patriarcat de Russie
2. Patriarcat de Serbie
3. Patriarcat de Roumanie
4. Patriarcat de Bulgarie
5. Patriarcat de Géorgie
6. Église (autocéphale) de Grèce
7. Église autocéphale de Pologne
8. Église autocéphale d’Albanie
9. Église autocéphale de Tchéchie et Slovaquie
10. Église autonome de Finlande
11. Église autonome d’Éstonie

Pour éclaircir encore la question posée, ajoutons que le droit des cinq patriarches accordé par le IVe Concile œcuménique de Chalcédoine (451), porte entre autres une double notion : c’est (a) un droit territorial et (b) un droit juridictionnel. Le premier est lié à la répartition territoriale entre les cinq Patriarcats faite par le Concile luimême. Le second regarde l’espace intrajuridictionnel de chaque trône patriarcal. Le privilège patriarcal originel et l’initiative canonique du Patriarcat œcuménique — fondée sur le droit juridictionnel territorial comme droit d’émancipation — de proclamer des Églises autocéphales dans son "territoire juridictionnel" fait exclusivement partie de sa seconde qualité en tant que Patriarcat. À celleci est également liée la notion de "territoire préjuridictionnel", développée plus haut.
Or toutes les Églises autocéphales possèdent la première qualité en ayant leur ressort territorial propre, dans lequel elles peuvent agir canoniquement selon les principes découlant de leur autocéphalie [droit plein], sans pour autant qu’elles aient le droit — et cela ressort des mêmes principes — de sortir des limites de ce territoire canonique pour exercer une juridiction hyperorius. La seconde qualité est donc strictement réservée aux cinq anciens Patriarcats [droit absolu]. C’est pour cette raison également que les Églises autocéphales en tant que Patriarcats (modernes) peuvent accorder une autonomie [droit relatif] ecclésiale intraorius — et non hyperorius —, mais non plus une autocéphalie tant dans leur territoire intrajuridictionnel que, encore moins, dans un autre territoire hyperorius. On doit souligner de même que le Patriarcat œcuménique a historiquement respecté, dans tous les cas, l’autocéphalie patriarcale et l’intégrité du territoire juridictionnel des autres trônes patriarcaux proclamant des Églises autocéphales uniquement dans les limites de son territoire patriarcal canonique : ce sont celles [Églises autocéphales] qui se trouvent dans son "territoire préjuridictionnel". Il a donné l’exemple et ainsi formulé la règle d’or d’un comportement canonique bien entendu "non hyperorius".
Nous proposons donc cette nouvelle approche du "territoire préjuridictionnel" sur la question posée, qui a manifestement un fondement canonique, étant donné que les autocéphalies ecclésiales récentes n’ont pas encore été revêtues d’une affirmation canonique conciliaire. En utilisant ce terme nous n’entendons cependant aucune notion de perspective d’assimilation des Églises autocéphales de la part du Patriarcat œcuménique. Le terme canonique "Église-mère" (Mater Ecclesia) par ailleurs est bien justifié par le terme "préjuridictionnel" et ce dernier est en fait expliqué par lui. C’est pour cette raison que le Patriarcat œcuménique s’est avéré être un récepteur sensible des problèmes des Églises autocéphales orthodoxes et, qu’en sa qualité d’Églisemère, il a soutenu leur lutte, comme il en avait le devoir ecclésial, de diverses manières.

B. Modalités de l’"acquis juridictionnel hyperorius"
[1.] Le primat des territoires hyperorius
Comme on vient de le rappeler, les autocéphalies ecclésiales accordées aux nationsÉtats à l’intérieur des limites canoniques du Patriarcat l’ont été pour des raisons tant pastorales que missionnaires. En effet, dans un vaste Empire comme l’était l’Empire romain, l’évangélisation des différents peuples ethniques résidant sur l’ensemble de son territoire serait demeurée irréalisable si l’Église était restée soumise à leurs intérêts ou à leurs initiatives, car le syncrétisme religieux et les abus des hérésies de l’époque ne rendaient pas évidente la vérité révélée qu’elle adressait aux peuples. Dans cette perspective, on pouvait qualifier le droit canonique conciliaire accordé au Patriarcat de Constantinople "chez les barbares" (canon 28/IVe) comme une juridiction soustractive (ajfairetikh; dikaiodosiva), qualifiant par le terme "les barbares" le(s) territoire(s) situé à l’extérieur des juridictions canoniques de cinq Patriarcats — et de l’Église autocéphale de Chypre —, territoire qui, par voie de diminution, allait/va être anéanti comme territoire — acquis par mandat conciliaire canonique — du Patriarcat œcuménique depuis que des Églises autocéphales "nouvelles" se fondent dans l’espace de ce territoire hyperorius.
Le texte de canon 28/IVe est ainsi conçu : " Suivant en tout les décrets des saints pères et reconnaissant le canon lu parfaitement des cent cinquante évêques aimés de Dieu, réunis dans la cité basilique de Constantinople, la nouvelle Rome, pendant le règne du basileus Théodose le grand, de pieuse mémoire, nous approuvons et prenons la même décision au sujet de la préséance de la très sainte Église de Constantinople, la nouvelle Rome. Les pères en effet accordèrent avec raison au trône de l’ancienne Rome la préséance, parce que cette cité était la cité basilique ; mûs par ce même motif les cent cinquante évêques aimés de Dieu accordèrent la même préséance au très saint trône de la nouvelle Rome, pensant que la cité honorée de la présence du basileus et du sénat et jouissant des mêmes privilèges d’honneur que Rome, l’ancienne cité basilique, devait aussi avoir le même rang supérieur qu’elle dans les affaires ecclésiastiques, tout en étant la deuxième après elle ; en sorte que les métropolites des diocèses du Pont, de l’Asie [proconsulaire] et de la Thrace, et eux seuls, ainsi que les évêques des parties de ces diocèses se situant chez les barbares, seront ordonnés par le saint trône de l’Église de Constantinople ; bien entendu, les métropolites des diocèses mentionnés ordonneront régulièrement avec les évêques de leur provinces les nouveaux évêques de chaque province, selon les préscriptions des canons, tandis que, comme il vient d’être dit, les métropolites de ces diocèses doivent être ordonnés par l’archevêque de Constantinople, après élection concordante faite en la manière accoutumée et relative à celui-ci ".
L’esprit de ce canon, résolution du Concile œcuménique, se concentre sur "ce qui demeure" géographiquement à l’extérieur de la juridiction canonique de toutes les Églises patriarcales et autocéphales, c’est une juridiction ecclésiale constantinopolitaine, et cela dans une perspective soustractive d’après la répartition synodale des juridictions territoriales de chaque Église. Ce territoire constitue donc, d’une part, un droit canonique d’une juridiction hyperorius et, d’autre part, l’unité ecclésiastique juridictionnelle réservée dans le fait précité, qui sauvegardait la taxis ecclésiale manifestée dans le droit de chirotonie et l’exercice de la diaconie pastorale. À titre d’exemple, la juridiction canonique du Patriarcat œcuménique sur l’Église autonome de Finlande manifeste concrètement que l’application du canon 28/IVe demeure en vigueur. Car l’Europe centrale (Églises d’Albanie, de Serbie, de Pologne et de Tchéchie et Slovaquie) et l’Europe orientale (Églises de Grèce, de Bulgarie, de Roumanie, de Russie et de Géorgie) constituent de facto un "territoire préjuridictionnel" du Patriarcat œcuménique de Constantinople. De plus, le Patriarcat œcuménique n’a sûrement pas le droit canonique et ne peut supprimer l’autocéphalie d’une Église autocéphale de son territoire préjuridictionnel sans que l’Église concernée ellemême le demande.
Nous avons donc trois termes canoniques qui exigent toujours une clarification et de les prendre en permanence en considération :

Clarification terminologique
1. Intraorius juridiction canonique
2. Hyperorius juridiction anticanonique
3. Hyperorius juridiction canonique unique (canon 28/IVe)

Ici encore, par voie conciliaire, l’Église a réparti le territoire du monde alors connu en cinq juridictions territoriales, les soumettant du point de vue juridictionnel aux cinq patriarcats en les constituant consciemment et conciliairement (IVe Concile œcuménique de Chalcédoine451). Dans l’aspect pratique de cette invention canonique conciliaire, on constate clairement deux raisons fondamentales : d’une part, la volonté manifestement constante de l’Église de sauvegarder le fait et l’acquis de la synodalité dans l’administration suprême de l’Église, ainsi que la koinonia des Églises locales regroupées en patriarcats. D’autre part, elle a voulu activer, comme l’on a dit, l’aspect missionnaire de l’Église.
Pour conclure, ce sont les Conciles œcuméniques IIe de Constantinople (canons 2 et 3), IVe de Chalcédoine (canon 28) et Quinisexte in Trullo (canon [2 et] 36), qui accordèrent au Patriarcat œcuménique de plus une autre qualité : l’acquis de juridiction ecclésiale hyperorius, comme modalité canonique exceptionnelle, sur les territoires des "nations barbares" d’alors, c’estàdire sur le "reste" du territoire — et à l’extérieur aux limites — des autres Églises patriarcales [4] et autocéphale [1Chypre], ayant le droit d’exercice d’une juridiction hyperorius canonique.
Pour qualifier, enfin, la situation issue des interprétations qui ont été proposées sur la question posée par le canon 28/IVe, d’emblée, on doit dire qu’un problème théologique est d’abord un problème herméneutique. Cela montre bien que les plus grandes tentatives herméneutiques peuvent aboutir à des conclusions différentes en ce qui concerne les grandes questions posées ou visées par le(s) canon(s). Toute grande entreprise herméneutique prend consciemment ou non comme point de départ une explication différente des grands problèmes manifestés dans le(s) canon(s), et cette différence dans les explications fournit un prisme dans lequel on veut voir les problèmes. De même elle fournit un critère de jugement qui permet aux autres commentateurs de la juger. Cette situation peut prêter à confusion. On peut certes la trouver étrange ; elle n’est pas moins bien compréhensible. Mais les données historiques et surtout la praxis ecclésiale très souvent relativisent le principe de méthodologie que nous citons, en offrant les conditions préalables pour résoudre tels ou tels problèmes posés à notre époque. Alors que la communion ecclésiale est gardée, on sauvegarde la possibilité d’agir canoniquement en restant sur la voie de la synodalité qui demeure synonyme de l’ecclésialité (cf. " Ekklisia sinodou onoma " ; st Grégoire le Théologien).

C. Modalités du "premier trône" des Églises locales orthodoxes
1. La fonction de locum tenens — des Orthodoxes — de l’Église d’Occident
Depuis que la formation du système patriarcal par l’Église ait été complétée (451), en Europe géographiquement défini, deux Patriarcats européens ont joué un rôle déterminant pour l’évangélisation de toute l’Europe : le Patriarcat de Rome et le Patriarcat de Constantinople, les deux premiers trônes patriarcaux dans la taxis canonique de l’Église. Le premier évangélisa les peuples de l’Europe de l’Ouest, le second les peuples de l’Europe centrale et orientale. Ce sont les deux facteurs spirituels qui ont joué un rôle principal. Or l’Europe occidentale demeure historiquement juridiction ecclésiale du Patriarcat de Rome et, par conséquent, un territoire patriarcal uni et unique dans cet espace. En effet, " les commentateurs grecs Zonaras et Balsamon disent que le 6e canon [/Ier] confirme les droits de l’évêque de Rome, en tant que patriarche [(sic)] sur tout l’Occident. [...] Nous voyons que, dans tout l’Occident, il n’y a qu’un seul et unique patriarche ". Par conséquent, il n’y a qu’une seule juridiction ecclésiale canonique sur le territoire de l’Europe occidentale, celle du Patriarcat de Rome. De même, l’application canonique du 28e canon du IVe Concile œcuménique de Chalcédoine (451) ne concerne pas l’Occident, autrement dit l’Europe occidentale, malgré les interprétations contemporaines de certains théologiens orthodoxes.
Puisque les Églises patriarcales (Patriarcat de Rome, d’une part, et les quatre Patriarcats, d’autre part, ainsi que les autres dix Églises autocéphales orthodoxes d’aujourd’hui) demeurent encore — depuis la rupture de la communion en 1054 — en désunion ecclésiale, selon le principe canonique de priorité d’honneur ("presbeia timis") des Églises autocéphales, étant donné qu’il n’y a pas un "pape et patriarche orthodoxe de Rome" pour les chrétiens orthodoxes de l’Europe occidentale, la juridiction de celui-ci "est transférée" à l’Église patriarcale suivante selon la taxis des diptyques ecclésiaux. En d’autres termes, il subroge le pape et patriarche de Rome en ce qui regarde uniquement les orthodoxes de cet espace ouest-européen jusqu’au moment où la cause ou bien la question de la désunion aurait pu être examinée dans un Concile et résolue définitivement. C’est pour cette raison que la juridiction territoriale du Patriarche de Constantinople, en tant que locum tenens, se prolonge canoniquement jusqu’aux confins de l’Europe de l’Ouest. Il demeure un "subrogé tuteur" en Europe occidentale et cela par un déplacement de la juridiction territoriale patriarcale de Rome sur lui. Par conséquent, on peut répéter ici qu’il n’y a qu’une seule juridiction ecclésiale canonique sur le territoire de l’Europe occidentale, celle du Patriarcat de Rome, exercée provisoirement par le Patriarche de Constantinople. Or toute philologie de plusieurs juridictions ecclésiales [multiformesmultinationales] "canoniques" (sic) sur le territoire de l’Occident n’est pas justifiée par la tradition canonique de l’Église. De même, l’application du canon 28/IVe n’a rien à voir avec les orthodoxes de l’Europe occidentale. Elle peut toujours être examinée pour les continents de l’Amérique et de l’Océanie mais évidement pas pour l’Europe occidentale et — de nos jours — notamment pour l’Europe (communautaire) unie.
Par conséquent, la juridiction patriarcale constantinopolitaine canoniquement exercée sur l’Europe centrale et orientale (à l’extérieur des limites canoniques des Églises autocéphales de cet endroit européen) est également étendue à l’Europe occidentale — juridiction historiquement canonique du patriarche et pape de Rome — intégrant les orthodoxes au sein de la "diaspora européenne" qui est située dans les limites de l’Église patriarcale d’Occident. Le fait qu’il soit locum tenens constitue une raison de plus pour que l’exarque, délégué (ekprosopos) — et non représentant (antiprosopos) — du Patriarcat œcuménique de Constantinople en diaspora, soit le président des assemblées épiscopales orthodoxes de chaque pays européen (Europe).
2. L’acquis du ‘droit d’appel’
Le droit d’appel (ekkliton) était appliqué avant le Concile local de Sardique (343), qui n’a fait que définir et proclamer une pratique antérieure. Les canons 3, 4 et 5 traitent de l’appel à l’évêque de Rome. Le caractère de cette prérogative est dû à des raisons théologiques et s’explique par le fait que l’évêque de Rome demeure un primus étant évêque d’une ville importante de l’Église qui est en Occident et, par la suite, le protos patriarche dans le système patriarcal étant l’Église patriarcale de Rome la première dans la taxis des Églises locales. Le droit d’appel fut donc établi synodalement en vertu des canons de Sardique et appliqué par la suite dans les différents systèmes canoniques de l’Église.
Il est question de l’appel après la désunion ecclésiale survenue en 1054. D’après ce qu’on vient de voir, le droit d’appel revient par transmission au trône patriarcal suivant. C’est une raison déterminante pour laquelle le recours est revenu au patriarche de Constantinople, c’est à dire l’exercice extraterritorial du droit de recours. Il faut cependant souligner ici qu’après la chute de Constantinople (1453) ce droit a été renforcé par l’Ethnarchie, lorsque le patriarche œcuménique, en raison de circonstances de l’époque, est devenu un interlocuteur représentatif de la population chrétienne devant les autorités ottomanes. De même, les titulaires des Patriarcats de l’Orient font avancer leurs affaires devant le Sultan, utilisant l’intermédiaire de patriarche de Constantinople ; il était leur représentant auprès de la Sublime Porte. Par conséquent, la modalité canonique d’exercice de l’ ekkliton par le patriarche œcuménique n’appartient pas à ses qualités patriarcales originelles ; la raison de son acquis peut un jour être réduite à néant. Néanmoins, depuis 1054, il exerce canoniquement ce droit ecclésial par transmission au sein de l’Église orthodoxe.

D. Modalités issues de la formation de l’Europe unie (depuis 1993)
[1.] Sa qualité d’interlocuteur de l’Union Européenne pour l’Église orthodoxe
La formation en cours de l’Europe unie porte des conséquences de différentes sortes, mais spécifiquement des conséquences géographiques et juridictionnelles pour l’Église orthodoxe. En effet, après la fondation initiale, en 1957, par six pays européens comme États membres de l’Europe communautaire unie (Belgique, République Fédérale d’Allemagne, France, Italie, Luxembourg, PaysBas), et son élargissement en quatre étapes : 1er agrandissement (1973) avec le RoyaumeUni, le Danemark et l’Irlande ; 2e agrandissement (1981) avec la Grèce ; 3e agrandissement (1986) avec l’Espagne et le Portugal ; 4e agrandissement (1995) avec l’Autriche, la Finlande et la Suède, le Patriarcat œcuménique de Constantinople en créant, en 1963, des Exarchats patriarcaux (Métropoles) dans les pays membres, devient, ipso facto, la première Église (Protoecclesia) orthodoxe européenne. Pour l’instant, il n’y a que deux Églises locales orthodoxes dans l’espace de l’Union Européenne : le Patriarcat de Constantinople (1963) — qui comprend l’Église autonome de Finlande (1995) — et l’Église de Grèce (1981).
C’est la qualité du Patriarcat œcuménique en tant que tel qui concerne l’Europe unie. C’est cette même qualité également qui lui donne le droit d’être classé comme "Église européenne" dans l’Union Européenne. Pourquoi ? Certes l’archiépiscopie de Constantinople ne fait pas géographiquement partie de l’Union Européenne, étant donné que la Turquie, pays de son siège, n’est pas — pour le moment — un État membre de cette dernière ; mais en partant de sa juridiction patriarcale canonique, sa qualité justifie le droit de son appartenance et sa présence sur le sol communautaire européen. En d’autres termes, ce n’est pas l’archiépiscopie de Constantinople qui appartient à l’Union Européenne, mais c’est le Patriarcat œcuménique de Constantinople qui l’est, ainsi que la juridiction territoriale qu’il possède sur le sol européen.
En ce qui concerne les aspects de la qualité patriarcale concernant l’Europe communautaire unie, il faut les déterminer avant de citer concrètement son exercice. D’une part, l’Église autonome de Finlande, les Métropoles du Dodécanèse, de [l’Église semiautonome de] Crète, des Nouveaux Territoires (Épire, Macédoine, Thrace et les îles de l’Archipel d’Égée) et de l’Europe centrale (cadre des quatre mers), ainsi que la Politeia monastique du Mont Athos, manifestent la "juridiction canonique directe" du Patriarcat, laquelle demeure réelle et intacte. Un deuxième aspect, d’autre part, concerne l’exercice de la juridiction patriarcale sur les orthodoxes de l’Europe occidentale (Métropoles en Europe), juridiction qui demeure également directe et qui provient par transfert et par subrogation canoniques et en tant que telle demeure manifestement "provisoire" et "circonstancielle" ; elle ne porte aucun motif historique et même canonique de devenir stable et implantée, car aucune juridiction patriarcale — des cinq anciens Patriarcats — ne peut être assimilée à une autre. La présence du Patriarcat œcuménique donc dans l’Europe unie est caractérisée dans double sens : elle est aussi bien géographique que juridictionnelle. Par conséquent, l’essai de refuser la juridiction du Patriarcat œcuménique sur les orthodoxes en Europe de l’Ouest par les juridictions ecclésiastiques nationales tout au cours du 20e siècle ne trouve pas de fondement canonique dans la tradition de l’Église et constitue une autre forme de situation noncanonique qui porte préjudice à l’unité interorthodoxe. Néanmoins, la nouvelle perspective européenne réaffirme l’engagement du Patriarcat œcuménique en faveur de l’instauration d’une organisation unifiée de tous les orthodoxes sur l’Europe unie en formation dans le respect des normes canoniques et avec l’accord de l’ensemble des Églises locales orthodoxes.
Ici encore, dans le même ordre d’idées et du fait précité, le Patriarcat œcuménique demeure l’interlocuteur officiel pour l’Église orthodoxe dans l’Europe unie, qui en tant que protos exprime à travers sa diaconie "préventive" la volonté commune manifestée par le biais de l’unité interorthodoxe, fondée sur la synodalité, des Églises autocéphales pour les affaires communes. (Lorsqu’un évêque, dans la liturgie, fait mémoire du patriarche, il ne le fait pas pour mentionner son "autorité ecclésiastique suprême" ; il ne l’est pas. Mais il le fait pour indiquer le synode d’une Église locale auquel il appartient et dont le protos est le patriarche, et sauvegarder ainsi l’unité ecclésiale). Ce fait historique et coutumier est déjà juridiquement accepté par certains États membres de la C. E., comme la Grèce, la Belgique aussi que par l’Autriche. L’Allemagne exprime sa reconnaissance à travers une représentation dans plusieurs Länder — le service compétent étatique se réfère à un style ou type procédural fixé par la "coutume" —, alors que dans les autres États, bien qu’il ne soit pas législativement considéré en tant qu’interlocuteur officiel avec les gouvernements étatiques, le fait historique et coutumier précité ainsi que sa modalité récente d’interlocuteur est respecté par tous. De plus, au niveau communutaire européen, l’accueil officiel réalisé par les autorités de l’Union Européenne au patriarche œcuménique Bartholomée Ier à Bruxelles (mai 1993), reçu par Jacques Delors, président en exercice de la Commission Européenne — et plus tard par son successeur Jacques Santer (novembre 1994) —, et à Strasbourg (avril 1994), à l’invitation d’Égon Klepsch, président du Parlement Européen, manifeste qu’il est bien perçu en tant qu’interlocuteur représentatif pour l’Église orthodoxe dans l’espace géopolitique de l’Europe unie.
Enfin, dans l’Europe unie à venir, la diaconie préventive du Patriarcat œcuménique — découlant de la place qu’il occupe dans la taxis des Églises et de son "droit préjuridictionnel" — fait partie de sa tâche ecclésiale principale. Cette diaconie préventive ne signifie l’exercice d’aucune hégémonie dans l’Église orthodoxe, mais seulement le droit canonique de prendre des initiatives et de coordonner les activités des Églises locales orthodoxes.

En guise d’Appendice
Les quatre statuts ecclésiastiques de compétence juridictionnelle que le Patriarcat œcuménique exerce en Grèce peuvent servir comme modèle d’Histoire aussi bien pour les problèmes de la diaspora d’aujourd’hui que pour les transformations géoecclésiastiques survenues en Europe unie à venir.
On peut en effet, au niveau européen, distinguer sous la juridiction du Patriarcat principalement les diocèses de Turquie, du Dodécanèse et de la "diaspora orthodoxe européenne", et également, mais avec un statut semiautonome, celui de Crète, et, avec un statut autonome, celui de Finlande. Dans l’Europe communautaire unie se trouve d’abord une Église autocéphale, celle de Grèce. Son status ecclésiastique est clair, précis et canoniquement bien déterminé. Le reste du territoire ecclésiastique européen uni constitue le ressort juridictionnel du Patriarcat œcuménique. Pour préciser ce "reste", on doit rappeler l’articulation administrative intereuropéenne au niveau du Vieux Continent.
On distingue la juridiction ecclésiale patriarcale, comme l’on a vu plus haut, en deux aspects : en "juridiction canonique directe" et en "juridiction canonique indirecte". Dans le premier et le deuxième cas, la juridiction directe et indirecte répandue sur le territoire communautaire européen s’articule comme suit :


A.
Juridiction canonique directe du Patriarcat œcuménique en Europe
1. Église autonome de Finlande
2. Église semiautonome de Crète
3. Métropoles du Dodécanèse
4. Éparchies de l’Europe centrale et occidentale
5. Politeia monastique du Mont Athos

B.
Juridiction canonique indirecte du Patriarcat œcuméniqueen Europe
6. Métropoles des Nouveaux Territoires (Grèce du Nord)

Dans le premier cas, la juridiction patriarcale canonique directe répandue sur le territoire communautaire européen représente, du point de vue territorial, 97,1 % de superficie de l’Europe communautaire unie, dont le reste territorial fait partie de la juridiction de l’Église autocéphale de Grèce. Le second cas concerne une question canonique apparemment ouverte. C’est la question de l’appartenance des Métropoles des Nouveaux Territoires dans la nouvelle perspective de l’Europe unie. Pourquoi ? C’est la "double" appartenance — bien canonique — de ces Métropoles, qui se pose sérieusement pour la première fois après l’acquis de leur "nouveau" statut de "double" appartenance en 1928.
Plus précisément, l’Europe communautaire unie fait coexister sur le même territoire uni deux Églises autocéphales — de Constantinople et de Grèce — "auxquelles appartiennent" les Métropoles des Nouveaux Territoires : à l’Église patriarcale spirituellement — et canoniquement (tant de facto que de jure canonico depuis toujours) —, alors qu’administrativement — pour des circonstances et des vicissitudes géopolitiques — elles sont confiées à l’Église autocéphale de Grèce mais "provisoirement" et "sous tutelle" ("par procuration") depuis 1928. Les Métropoles des Nouveaux Territoires de la Grèce septentrionale ont été "prêtées" par le Patriarcat de Constantinople à l’Église autocéphale de Grèce en 1928, mais leur soumission spirituelle au Patriarcat est garantie canoniquement (Acte patriarcal et synodal de 1928) et législativement (Constitution de Grèce de 1975). Seul reste à régler dans cette nouvelle perspective la situation administrative de ces Métropoles : selon l’Acte de 1928, il revient à la discrétion du Patriarcat œcuménique de les soumettre de nouveau, unilatéralement et selon les mêmes normes canoniques. Enfin, toutes les Métropoles (de Crète, du Dodécanèse et de l’Europe centrale et occidentale) se rangent dans le même ordre géoecclésiastique, y compris celles des Nouveaux Territoires.
La Grèce présente donc canoniquement aujourd’hui — et il convient d’en tenir compte dans l’Union Européenne — l’image suivante du point de vue ecclésiastique, administratif et juridictionnel tout en enfermant deux (A+B) statuts ecclésiastiques :


GRÈCE

A. Église de Grèce
I. Église autocéphale de Grèce (18501882) :
— La Grèce du Sud (1850)Heptanèse (1866)Thessalie (1882)
II. Métropoles des Nouveaux Territoires du Trône œcuménique (1928) :
— ÉpireMacédoineThraceÎles de l’Archipel d’Égée
B. Patriarcat œcuménique de Constantinople
III. Église semiautonome de Crète :
— Crète (8 Métropoles)
IV. Métropoles du Dodécanèse :
— Dodécanèse (4 Métropoles)
V. Politeia monastique du Mont Athos :
— Presqu’île du Mont Athos
On constate donc l’existence des cinq statuts canoniques différents en Grèce d’aujourd’hui. Cependant on doit souligner à cette occasion que la "cohabitation" des cinq statuts ecclésiastiques n’a jamais posé aucune sorte de problème.
De même, quant au régime nomocanonique des autres territoires ressortissant de la juridiction du Patriarcat œcuménique de Constantinople en Grèce, ils constituent quatre catégories différentes, dont, néanmoins, le territoire fait directement partie du ressort territorial hellénique/ européen :
I. L’Église semiautonome de Crète
II. Les Métropoles du Dodécanèse
III. Les Métropoles des Nouveaux Territoires
IV. La Politeia monastique du Mont Athos
L’articulation de la juridiction patriarcale dans le monde entier avec la répartition des Métropoles présente la structure suivante :





PATRIARCAT ŒCUMÉNIQUE DE CONSTANTINOPLE

• Turquie
I. Archiépiscopie de Constantinople
II. Métropole de Chalcédoine
III. Métropole d’Imbros et Ténédos
IV. Métropole des Îles des Princes
V. Métropole de Dercos
• Grèce/Europe
I. Église semiautonome de Crète (8 Métropoles)
II. Métropoles du Dodécanèse (4)
III. Métropoles des Nouveaux Territoires (38)
IV. Politeia monastique du Mont Athos
• Europe
V. Église autonome de Finlande (3)
VI. Église autonome d’Éstonie (1)
VII. Éparchies de l’Europe centrale et occidentale (8)
• Amérique
I. Archiépiscopie d’Amérique et huit épiscopies (9)
II. Métropoles d’Amérique du Nord et du Sud (sauf usa) (3)
• Asie
I. Métropole de Hong Kong (1)
• Océanie
I. Archiépiscopie d’Australie (1)
II. Métropole de Nouvelle Zélande (1)




Conclusions


Nous avons exposé toutes les modalités canoniques qui régissent l’exercice de la juridiction du Patriarcat œcuménique de Constantinople. Il résulte donc que la juridiction patriarcale s’exerce à des niveaux différents, qui peuvent être définis comme suit :

Niveaux (catégories) d’exercice de la juridiction
du Patriarcat œcuménique de Constantinople
1°) Exercice de juridiction (canonique) sur ses territoires patriarcaux propres (A, 1 et A, 2) ;
2°) Exercice de juridiction canonique sur ses territoires préjuridictionnels, lorsque l’autocéphalie d’une Église (nationale) locale est abolie (A, 3) ;
3°) Exercice de juridiction canonique en dehors des limites juridictionnelles des autres Églises patriarcales et autocéphales, autrement dit, sur les territoires hyperorius (B, 1) ;
4°) Exercice de juridiction canonique sur les territoires du Patriarcat de Rome, en raison de la fonction de locum tenens qui échoit au Patriarcat œcuménique (C, 1).

Récapitulant la pratique de l’institution de l’Église locale des trois premiers siècles de l’ère chrétienne de même que celle du système métropolitain (Ier Concile œcuménique325) et du système de l’autocéphalie (IIIe Concile œcuménique431), le IVe Concile œcuménique de Chalcédoine (451) s’orienta consciement vers la formation des entités géoecclésiastiques nouvelles, inexistantes comme telles jusqu’alors : les Patriarcats. (Il a fallu quatre siècles pour que l’Église puisse arriver à un moment d’organisation globale). Ce fait historique au sein de l’Église marque aussi bien une taxis dans la koinonia des Églises locales qu’une volonté constante de manifestation de la synodalité dans l’administration suprême de l’Église. Cinq Églises patriarcales et une Église autocéphale [de Chypre] assuraient donc la perspective visée par les fermentations canoniques de cette époque. Nous avons préféré consacrer plus de commentaires aux divers stades et aux divers développements successifs des systèmes canoniques de l’Église. Cet itinéraire de progrès et de développement accompli par les Conciles ne représente que la traduction résumée dans la praxis ecclésiale d’une énorme élaboration théologique correspondante, celle que nous pouvons suivre dans les œuvres des Pères et des écrivains ecclésiastiques.
Par ailleurs la juridiction épiscopale du patriarche de Constantinople est en tant que telle limitée, quant à l’étendue territoriale, au territoire constantinopolitain de la Turquie d’Europe (et le territoire athonite qui est hellénique/européen). Mais sa juridiction patriarcale, étendue sur tout le territoire européen, est motivée par une exigence liée à la qualité de patriarche — canonique (Europe centrale et orientale) et par transfert (Europe occidentale) —, cédée par les Conciles œcuméniques de l’Église et acceptée de plus communément par les Actes internationaux : on avait les limitations imposées par les NéoTurcs au patriarche de Constantinople qui cessa d’être l’Ethnarque des chrétiens orthodoxes (traité de Lausanne1923) ; il ne demeurera plus que dans sa mission (patriarcale) ecclésiastique comme déjà bien avant, durant — juste — le millénaire de la période romaine (4511453). (Il faut rappeler ici le fait qu’au cours des 17e, 18e et 19e siècles, la juridiction patriarcale s’étendait même sur les pays orthodoxes qui n’étaient point soumis à la Sublime Porte). Or, il s’agit d’une juridiction qu’il doit exercer comme sa mission ecclésiale propre en toute liberté dans la perspective canonique de sa mission.
Ici encore, le Patriarcat œcuménique de Constantinople jouit d’une "diaconie préventive" acquise et reconnue diachroniquement par les autres Églises locales tant patriarcales qu’autocéphales orthodoxes, non seulement en raison de sa place canonique en tant que primus inter pares — "primauté de diaconie" et d’honneur qui n’a jamais été une "primauté de pouvoir" — dans la taxis de l’Église orthodoxe, mais aussi en raison de son droit préjuridictionnel visàvis des Églises autocéphales modernes. De l’Adriatique à la mer Caspienne et de la Méditerranée jusqu’à la mer Baltique, le ressort territorial antique du Patriarcat de Constantinople était plus vaste que celui du Patriarcat d’aujourd’hui. Cette présupposition géographique constitue la base sur laquelle demeure la notion du "territoire préjuridictionnel" du Patriarcat. Or, dans son domaine propre, il agit en tant qu’organe de coordination et d’exécution de la volonté commune de l’ensemble de l’Église orthodoxe et cela de plus en raison de sa mission dans le vaste domaine de sa diaconie interorthodoxe.
Enfin, dans l’Europe communautaire unie, le Patriarcat œcuménique demeure, d’abord en tant qu’Église locale, une ‘Église européenne’ du continent uni en formation. Ensuite, en raison de sa qualité patriarcale, un ‘subrogé tuteur’ de jure canonico pour la diaspora orthodoxe européenne. Autrement dit, pour être plus précis, le Patriarcat œcuménique exerce canoniquement trois juridictions :

Exercice de la juridiction du Patriarcat œcuménique
1. Juridiction patriarcale traditionnelle (Patriarcat de Constantinople)
2. Juridiction hyperorius canonique (tant missionnaire que de la diaspora)
3. Juridiction subrogatoire (Patriarcat de Rome)

De plus, en tant que protos [patriarche], il demeure un ‘interlocuteur’ représentant l’Église orthodoxe, en raison de sa priorité juridictionnelle, devant les autorités politiques communautaires européennes. Or si on doit examiner une question liée à cette distinction juridictionnelle, il faut toujours prendre en considération ces conditions préalables selon le cas. Sinon on risque d’examiner mal — voir d’une manière noncanonique — la question posée et d’élever des constructions arbitraires provenant d’une interprétation erronée.
***
Pour conclure, on doit dire que parmi les cas A, B, C et D, mentionnés au début du présent texte, le cas A porte des qualités propres qui sont liées à la constitution du Patriarcat en tant que tel. Les fonctions des cas B, C et D ont été canoniquement assumées par lui au cours des siècles pour différentes raisons, comme on l’a vu, et elles sont justifiées par l’existence de ces raisons qui peuvent un jour être réduites à néant.



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